dimanche 2 septembre 2012

7. Vers une médecine intégrée, préventive, pédagogique et curative[1]


Par Xavier Lainé[2]
Il me faut préciser donc, puisque l’invitation m’est faite de proposer une avancée concrète vers ce que je nomme une prévention éducative à la santé, ce que j’entends là, sur quoi se fonde le propos, ce que pourrait être le projet.
Notion de santé
Il est devenu courant de n’utiliser que le terme de santé sans en préciser les contours.
Revenons donc à cette définition, paraphée par la plupart des grands états, dont le nôtre, dès lors qu’ils adhèrent à l’Organisation Mondiale de la Santé : « La santé est un état de bien être physique, mental, économique et social ».
Dès lors, limiter le propos sur la santé à l’approche et la mise en pratique des soins lorsque les citoyens l’ont perdue, me semble relever d’une limitation objective du propos et nécessiter de clarifier le débat afin que nous nous entendions bien sur les termes employés.
L’incompréhension vient parfois du fait que nous ne parlons pas la même langue tout en croyant le faire.
Clarifions donc : le terme de santé englobe une réalité bien plus vaste que celle du soin.
Or, depuis bien longtemps notre pays a troqué la notion de santé publique contre ce que l’on pourrait nommer une politique soignante. Depuis, le glissement sémantique s'est clairement répandu dans le langage de nos concitoyens: la santé n'est plus ce que nous devons préserver ou retrouver, mais le soin à apporter lorsque, justement, elle nous fait défaut...
Un tel glissement ne me semble pas tout à fait innocent, et permet allègrement de considérer la véritable santé comme un état d'absence de pathologie, ou de pathologie potentielle, ce qui n'est pas rien et rejoint la préoccupation des grandes sociétés pharmaceutiques qui en viendront peut-être à considérer la vie même comme un phénomène pathologique si nous continuons sur cette pente...
Politique de santé publique n’est pas antinomique d’une gestion éclairée des dispositifs soignants
Paradoxe de plus en plus reconnu : alors que la technicité médicale a progressé à grande vitesse, permettant des prouesses technique performantes, les budgets sociaux s’envolent, et nul ne s’aventurerait à prétendre que la population puisse être globalement en meilleure santé.
Bien sur, on pourra avancer l’allongement de l’espérance de vie, la chute de la mortalité infantile et autres nettes améliorations permises par ces avancées technologiques.
La situation pourtant semble bien plus contrastée que ce que les discours de victoire nous dépeignent.
On a pu, jusque dans les années quatre vingt dix, considérer ce triomphalisme comme certain.
Or, assez brutalement, avec la précarisation pandémique des conditions de vie, les éclatements familiaux et affectifs, l’industrialisation de l’agriculture, les exclusions sociales et économiques, la pression exercée sur le monde du travail visant à obtenir la plus haute rentabilité au coût le plus bas, on a vu peu à peu apparaître des formes de pathologies de moins en moins expliquées et explicables.
Acteur sur le terrain, recevant de nombreuses personnes, je vois bien comment, malgré une offre de soin en apparence de plus en plus performante, la santé des uns et des autres se dégrade à une vitesse incroyable depuis une dizaine d'années...
Aussi surprenant que cela puisse paraître, nous somme capables de soigner, mais aider à cet acte de rémission[3] qui permettrait la guérison, ou du moins l'apprentissage de meilleurs comportements capables d'enrayer les rechutes, et leur cycle infernal vers le handicap et l'exclusion reste un vœu pieux...
On le voit, tant dans « l’épidémie des TMS (troubles musculo-squelettiques) » que dans celle des suicides en de multiples entreprises. Ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
Je ne tiens pas à dire que mon expérience de terrain nous éclaire d’une vérité universelle. Il faudrait que nous soyons en mesure de sonder en chacun de nos cabinets, hôpitaux, centres de soin pour nous faire une idée claire de la situation.
Des articles viennent montrer que les professions de santé ne sont pas à l’abri de cette dégradation.
Est-ce qu’il faudrait incriminer la médecine d’être ce qu’elle est et de ces échecs ? Je pense que non. Je me souviens seulement, dans les années soixante dix, étudiant en médecine, avoir souvent manifesté (et je n’étais pas seul) mon inquiétude devant l’enseignement qui nous était fait d’un art d’où l’humain s’était comme absenté. Je me souviens avoir déserté des stages hospitaliers, en région parisienne, parce que je ne supportais pas que l’on me demande de réparer le « genou fenêtre 118 ». On me disait que j’avais le tracassin lorsque mes protestations se faisaient véhémentes. Ce qu’il fallait, c’était rentrer dans le rang d’une insensibilité croissante à tout ce qui sous tend toute pathologie : c'est-à-dire insensible à la vie qui palpite, se bat, parfois s’acharne et se cramponne et qui fait que nous sommes qui nous sommes, y compris dans la forme et l’organisation de notre biologie, physiologie.
On ne peut donc reprocher aux soignants un savoir qui ne leur a jamais été donné, sauf, comme je l’ai fait durant ces trente années d’expérience, à tourner, dans la solitude d’une pratique professionnelle au rythme assourdissant, et chercher par soi-même les élément de compréhension d’une complexité qui nous échappe sans cesse, pour la bonne et simple raison qu’elle ne fait pas partie (encore) des cursus de formation.
Peu à peu, la politique de soin public n’a plus regardé les êtres de chairs, d’os et d’esprit qui sont son objet, que comme des structures morcelées. Les réponses se font partielles, voir partiales, faute de pouvoir et de savoir lever la tête et regarder au-delà de l’immédiate souffrance afin de découvrir comment guider au mieux les patients vers le mieux qu’ils recherchent. Contraints à la productivité pour survivre, nombre de soignants ne sont plus alors que les dispensateurs d’une technique sensée être efficace, sauf à tomber sur le « mauvais patient » récalcitrant ou rebelle aux thérapies toutes faites.
C’est sans doute une des raisons qui font que l’hôpital, depuis vingt ans au moins, court après une humanisation introuvable. Lorsque la personne arrive à l’hôpital, elle est en situation de détresse telle, faute d’avoir appris à se prémunir, que, les carences de personnels aidant, les plus belles techniques ne suffisent plus à répondre.
Deux axes de réflexions pour innover
1. Ouvrir le soin à une pédagogie de la rémission[4]
Dans une situation qui semble bloquée, les facteurs d’ouverture existent. Les patients l’ont d’ailleurs pressenti qui font le choix, de plus en plus souvent, et parfois sans le dire par crainte d’être jugés, d’allier médecine allopathique et pratique dites alternatives, non sans résultats (officieux car aucune recherche n’est ouverte sur de telles alliances).Chaque médecine, dans un contexte de suspicion mutuelle, en arrive à se regarder en chien de faïence, guettant le faux pas de l’autre pour mieux gloser sur son échec.
Il s’agit là d’une attitude suicidaire qui jette les patients, en quête d’une autre prise en compte d’eux-mêmes, entre les griffes d’un nombre croissant de gens plus ou moins bien formés. Une telle situation est dangereuse à de multiples points de vu.
Des expériences sont menées dans le monde, au Brésil, à New-York, Montréal, en Inde de clinique et services hospitaliers proposant, non sans résultats intéressants, les services conjugués des deux médecines, voire (en Inde en particulier où sont proposés les soins ayurvédiques) ceux des médecines traditionnelles. On sait qu’en Europe comme en France, sous l’impulsion de personnalités éparpillées, des expériences sont menées d’utilisation, par exemple, de l’acupuncture, de l’hypnose Ericksonienne, de la sophrologie dans certains services, avec un succès non négligeable mais fort peu mis en valeur.
L’avenir est dans la réconciliation et non dans les renoncements et suspicion. L’urgence est à l’alliance pour apprendre aux patients les voies de sa rémission et non dans des querelles de clocher sans intérêt qui vouent toutes nos pratiques à l’échec, faute de remettre dans le champ de notre attention l’humain.
2. Passer d’une prévention axée sur les pathologies avérées à une pédagogie de la santé
Parallèlement à la mise en place d’une expérience pilote de médecine intégrée, je suggère de considérer l’impérieuse nécessité de changer de point de vue dans le domaine de la prévention. On connaît la prévalence des facteurs environnementaux, affectifs et sociaux sur l’apparition d’un certain nombre de cancers, la survenue des TMS, l’obésité, le diabète, l’hypertension artérielle, etc.…
Les opérations menées à grand renforts médiatiques ont certes une certaine efficacité. Mais comment expliquer que, parallèlement la presse fasse état d’une véritable épidémie de ces mêmes maux que la prévention telle que proposée est sensée expurger ? Interrogé à la suite d’une visite en entreprise où tout avait été exploré dans le domaine de l’ergonomie, et de l’école du dos pour prévenir les TMS, sans que pour autant ceux-ci ne soient enrayés, je me suis permis d’avancer l’idée que si le corps ressenti est aux abonnés absents, il n’est aucune raison qui justifie l’utilisation des méthodes apprises.
Combien de pathologies pourraient être évitées si nous combattions avec ardeur l’ignorance terrible de nombre de nos contemporains. Un article récent dans le journal Le Monde soulignait l’absence, en France d’une juste place pour le corps ressenti. Nous existons à côté de cette partie essentielle de nous-mêmes, ne lui reconnaissant une place qu’une fois la blessure présente.
Je suggère qu’une médecine du XXIème siècle soit d’abord une médecine qui réintègre sa fonction enseignante, préventive. Comme pour les médecins des lumières, nous avons pour devoir d’apprendre à nos patients l’art de prendre soin d’eux et de préserver leur santé. Pour ce faire, nous avons besoin, pour nous-mêmes, de réhabiliter cette notion de corps vécu et ressenti pour mieux comprendre ce qui se trame dans l’organisation de ces patients qui nous font confiance.
Nous sommes soumis à une pression énorme qui nous empêche d’y voir clair : il nous faut survivre, si nous faisons en conscience notre travail, avec des honoraires bien faibles eu égard à la responsabilité qui est la nôtre. Cette misère endémique contamine la qualité de notre ouvrage en nous poussant à une « productivité » qui privilégie la prescription aux dépends de la qualité relationnelle. Cette situation porte en elle le germe d’un affaiblissement global de toutes les capacités soignantes. Œuvrer à une éducation à la prévention et à la santé pourrait être un outil de désengorgement, accentué par l’existence d’une médecine intégrée qui allierait au soin les tâches pédagogiques propres à permettre la rémission[5], la résilience[6].
Conclusion
Il me semblerait trompeur de réduire des "Etats généraux de la santé" et leurs implications concrètes dans une mise en relief des besoins citoyens dans le domaine de la santé à une seule réflexion sur l'accès pour tous au soin. Sans dénier l'urgence à réagir face au potentiel éloignement des structures sanitaires, laissant ainsi des franges de plus en plus importantes de la population sans accès égalitaire aux soins, mon approche est une invitation à aller plus loin et à envisager une véritable politique de santé publique qui fasse de chaque intervenant, en amont ou en aval de l'hôpital, un véritable éducateur de santé afin que nos concitoyens se sentent épaulés dans un parcours responsabilisant de maintien voire d'amélioration de leur état de santé au sens mentionné dans les chartes de l'OMS, déjà citée ci-dessus...
C'est cet engagement qui devrait primer sur tous les autres, ou du moins englober tous les autres. A défaut, nous n'aurons plus qu'à pleurer sur les déficits endémiques générés par un système de soin qui aura failli à sa vocation première qui est de prévenir, plutôt que de guérir...Ces jours derniers, Elie Arié, professeur de médecine, publiait sur le blog du journal Marianne un propos justifiant la fermeture de structures hospitalières au nom de la rentabilité et de la sécurité. La grande majorité des commentaires tentaient de défendre, à juste titre les hôpitaux et le dévouement de leur personnel. Je fus frappé de constater que très peu posèrent le problème d’un élargissement du débat.
Je vous livre ici la réflexion que cette opinion m’a suggérée :
« Une autre solution, bien plus ambitieuse serait d'envisager enfin une vraie politique de santé publique et nom les politiques comptables du soin telles qu'elles nous sont proposées depuis des lustres sans aucun résultat. Que pourrait être une vraie politique de santé publique? Celle qui favorise le maintient en bonne santé plutôt que le traitement des pathologies. Celle qui éduque et non celle qui assujettit. Celle qui responsabilise ceux qui veulent apprendre à gérer leur santé sans attendre que le train déraille. Celle qui regarde les causes possibles d'une santé qui globalement se dégrade quant, paradoxalement, la technicité médicale s'accroit. Celle qui ne culpabilise pas les accidentés de la vie en leur donnant tous les outils, dans le cadre d'une médecine intégrant toutes les facettes, toutes les connaissances, des plus traditionnelles aux plus récentes.
Qu'il est bon d'être poète et rêveur en un temps où tout est possible, à condition de quitter les œillères de l'économisme et du scientisme. Car on le sait, l'économisme n'est pas l'économie, comme le scientisme n'est pas la science, mais leur dévoiement au service d'une technocratie qui ne connaît plus rien de l'Homme. »
Notes:
[1] Cet article a été écrit suite à une rencontre avec le Collectif Réa de la ville de Manosque. Il semble qu'un tel propos ne laisse pas indifférent les citoyens actifs, réunis en son sein. C'est sans doute une utopie que de souhaiter contribuer à la mise en place d'un hôpital de médecine intégrée dans une ville aussi petite. Mais nous pourrions, à l'occasion de l'ouverture du nouvel établissement inauguré ces jours-ci, y jeter les ferments d'une médecine d'avenir et d'une prévention au sens large.
Ce colletif devait tenir une réunion de oncertation avec des médecins du département et m'avait demandé d'être présent à cette rencontre. Ne pouvant me libérer, je leur ai fait parvenir ce texte. IL faut que les idées fassent leur chemin......
[2] Xavier Lainé est écrivain, membre de la SGDL et de la SACD, Kinésithérapeute DE depuis 1981 (salarié puis libéral), membre du syndicat Alizé, Praticien Feldenkrais certifié, membre de l’association Feldenkrais France, ancien syndicaliste salarié, ancien Conseiller Prud’hommes, ancien président du Conseil des Prud’hommes de Digne.
[3] Il me faudra revenir sur ce terme, fortement usité en cancérologie, que je sors ici de son contexte.
[4] Voir note 3 ci-dessus.
[5] Voir note 3
[6] Le terme de résilience, essentiellement emprunté à Boris Cyrulnik mériterait en lui-même d’être développé.

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