dimanche 2 septembre 2012

9. Méthode Feldenkrais : de la neuro-plasticité comme si vous étiez


Xavier Lainé, écrivain, praticien Feldenkrais, kinésithérapeute
 Texte ayant servi de support à l’atelier proposé dans le cadre des Journées Francophones de Kinésithérapies 2011, organisées par la Société Française de Physiothérapie, au Palais des Congrès du Parc Chanot, à Marseille, le 5 février 2011

Certaines affirmations « scientifiques » ont la peau dure. Même lorsque l’évidence les remet en question, elles continuent à être psalmodiées de manière incantatoire, contre vents et marées. Ainsi de cette boutade qui est répétée à l’envie, selon laquelle nous aurions un potentiel de neurone à notre naissance qui fondrait comme neige au soleil, l’âge aidant.
Nul, bien sûr, n’a pu dénombrer le potentiel neuronal du citoyen lambda dès son avènement. Nul non plus n’a pu démontrer que ce potentiel allait décroissant, selon les mythes, à partir de dix, quinze ou vingt ans. Voici donc une de ces « évidences » pseudo-scientifiques culte, considérée comme la base de tout raisonnement sensé en matière de neurologie et qui se trouve totalement sans fondement.
Il en est ainsi à trop considérer les « critères de la science actuelle » comme des dogmes infranchissables : ils transforment les pires inventions en vérités toutes faites, au risque de nous faire louper le coche de l’avenir. Car il est toujours plus difficile de contrer des idées reçues que de discuter de réelles informations.
Ainsi, il se trouve encore des professeurs, des gens bien comme il faut pour véhiculer un mensonge, quand, depuis quinze ans au moins, les preuves d’un fonctionnement radicalement différent de notre système nerveux sont apportées, mais restent encore confidentielles.
Neuro-plasticité, de quoi s’agit-il ?
Ce que l’on nomme neuro-plasticité revêt de multiples aspects, tous mis en évidence depuis une quinzaine d’année.
Ainsi, on sait qu’entre le système nerveux neuronal (substance grise) et le système nerveux chimique (substance blanche), à mode de fonctionnement différent, le second agit comme un « doublage » du premier/ comme si chaque action entreprise dans le système neuronal bénéficiait de sa « sauvegarde » dans le système chimique.
Il a été mis en évidence, par ailleurs, que rien n’est totalement définitif dans l’arbre extrêmement complexe que forment les connexions synaptiques. Rien de plus instable que ces connexions qui passent leur temps à se faire et se défaire, à se créer et disparaître selon les stimulations perçues par le système.
Enfin, de découverte plus récente : une véritable pépinière de néo-neurones a été mise en évidence à proximité des noyaux gris centraux et de l’hippocampe, portant un coup fatal à la fable copieusement répandue de la fonte de notre potentiel neuronal.
Bien sûr, ces fonctions de plasticité ne sont pas immuables, et ne se produisent pas à la même vitesse tout au long de l’existence. Ainsi, un enfant sera plus facilement prêt à créer de nouvelles connexions et à régénérer son système qu’une personne d’un certain âge. Bien qu’encore…
Il semblerait en effet que ces formidables fonctions qui ne sont rien d’autre qu’une capacité de notre système à s’adapter aux variations liées à l’environnement, et aux apprentissages imposés par l’expérience vécue, soient soumises à quelques règles élémentaires qui peuvent en assurer la continuité, l’accélération, ou le ralentissement.
Contrairement à toute attente, il ne suffit pas d’avoir une vie réglée comme du papier musique, de manger sainement ou d’éviter toute forme de stress pour que nos neurones se mettent à s’interconnecter, et à se reproduire. Pour ce, il leur faut être stimulé. Et cette stimulation puise sa source dans le fait de se trouver dans des situations imprévisibles, de devoir faire face à des épreuves nécessitant une part d’improvisation adaptative, de ne pas répéter toujours les mêmes schémas d’organisation en réponse aux évènements de la vie.
Plus notre système est stimulé par des circonstances inhabituelles, et plus il répond par une plasticité facilitée.
Contrairement à l’idée répandue, cette plasticité n’a pas seulement une vocation réparatrice, mais elle agit comme une constante du système pour favoriser son adaptation à un environnement changeant, permettre les apprentissages comportementaux, et, par extension, est une condition indispensable de tout apprentissage.
La Méthode Feldenkrais : une pédagogie de la plasticité neuronale.
Moshe Feldenkrais, dans l’élaboration de ses propositions de Prise de Conscience par le mouvement, partait de cette idée qu’il fallait ouvrir des voies inhabituelles d’entrée en mouvement pour amener le système nerveux à une mise en recherche de nouveaux modes d’organisation.
Nos schémas d’organisation étant le résultat de nos apprentissages, la signature d’une expérience de vie, inviter à faire l’expérience concrète d’une exploration inhabituelle, ne peut que nous rencontrer en ce lieu où nous sommes arrivés, et nous inviter à ouvrir d’autres voies d’organisation, non par une mise en cause violente des schémas acquis, mais par l’entrée douce et progressive d’autres modes exploratoires.
Si vous vous mettez debout, les yeux fermés, il est probable que pour certains cette proposition même soit assez inhabituelle pour que, déjà, vous puissiez percevoir un léger mouvement d’oscillation autour de l’appui sur vos deux pieds, preuve que « quelque chose » est en train de se produire en vous qui ne vous laisse pas indifférent dans cette mise en expérimentation.
Mais si, maintenant, vous prenez le temps d’observer comment s’organisent vos appuis sous vos pieds (peut-être plus vers les talons, ou vos avant-pieds) et que vous prenez le temps d’accentuer cette sensation et d’y rester un instant, vous allez très certainement être confrontés à quelques secousses absolument involontaires qui sont la traduction concrète d’une réponse de votre système nerveux à cette « provocation ».
Si vous prenez le temps d’un léger repos (en marchant, par exemple), et que vous revenez à cette sensation première de la répartition de vos appuis sous vos pieds, il est vraisemblable que vos sensations se seront modifiées déjà de façon substantielle.
Si maintenant vous placez vos deux mains l’une dans l’autre, vos bras élevés devant vos épaules et que, dans cette position vous jouez à reculer votre bassin comme pour aller vous assoir ou déposer vos lombaires contre un mur. En répétant ce mouvement inhabituel plusieurs fois avant de revenir à votre position debout naturelle, vous observerez que votre attitude sera peut-être moins dans une « tension » pour vous tenir debout, votre système optant pour une oscillation lente, et la sensation de vos appuis aura sans doute encore changée.
Mais, si, revenant à cette seconde position (vos bras devant vos épaules, les mains posées l’une dans l’autre, en changeant l’ordre de dépôt de vos mains), vous jouez à reculer la partie droite de votre bassin en avançant votre épaule droite et en alternant avec le même mouvement du côté gauche, la répétition lente d’un mouvement aussi inattendu qui, au départ pouvait vous paraître difficile, vous apparaîtra progressivement comme évident, et, lors de votre retour au repos, vous aurez la surprise, sans doute de vous découvrir de nouvelles sensations.
Ces modifications dans vos sensations sont la signature que quelque chose a pu se produire dans votre sens kinesthésique. Vous avez donc devant vous la preuve s’il en fallait une que votre système nerveux est bien vivant et qu’il vient d’intégrer quelque chose de l’expérience vécue.
La méthode Feldenkrais, par sa pédagogie spécifique d’aborder le mouvement sous un jour inhabituel est donc une des voies possibles d’une stimulation du système nerveux central, lui permettant de continuer et d’approfondir sa fonction plastique nécessaire à notre adaptation à un environnement sans cesse changeant.
Sans conclure
Voudrais-je dire ici que seule la méthode Feldenkrais aurait cet effet bénéfique ? Ce n’est pas mon intention. Car, au fond, notre système peut être engagé dans ses fonctions de plasticités en de multiples autres occasions, bien au-delà de l’influence d’une méthode comme Feldenkrais.
Je voudrais simplement attirer l’attention sur ce fait désormais incontournable qui doit nous obliger à reconsidérer nos actes, quelle qu’en soit la justification technique, compte-tenu de ces nouvelles connaissances.
Car, si un mouvement aussi simple que celui effectué laisse une trace mnésique dans notre sens kinesthésique, tout acte technique appliqué sur la peau, sur un muscle, sur une articulation, toute intervention doivent être réévalués sans perdre de vue l’influence que ces techniques, même totalement justifiées, peuvent avoir sur l’organisation de nos patients.
Si la méthode Feldenkrais est une porte d’entrée possible à cet espace, gageons qu’elle puisse agir en complémentarité avec toutes les autres, comme par un effet amplificateur de l’efficacité de toutes par la mise en éveil d’une neuro-plasticité omniprésente.
Ce qui n’exclut en rien de considérer chaque geste technique y comprit dans ses effets sur l’ensemble de la personne, par le biais de cette neuro-plasticité.
Manosque, 4 février 2011
Bibliographie non exhaustive
Cerveau, un remaniement perpétuel, Sciences & avenir, août 2009
Plasticité du système nerveux central, in La science au présent 2007, Encyclopedia universalis
Le cerveau, comment il se réorganise sans cesse, Les dossiers de la recherche n°40, trimestriel août 2010
Revue de presse :
Je savais Jean-Pierre Zana, du comité de rédaction de la revue FMT Magazine, présent dans la salle, puisqu'il s'était présenté. J'ignorais ses intentions. J'ai bien failli ne pas lire FMT Magazine n° 99 des mois de juin, juillet et août 2011, n'étant pas friand de ces revues d'où l'humain est trop souvent évacué. Mais voilà que mon intervention aux Journées Francophones de Kinésithérapie a dû marquer, puisqu'elle se trouve en bonne place dans le compte-rendu qui en est fait. Et, en plus, de bonnes questions sont posées quant à l'éviction de la Méthode Feldenkrais de l'arsenal des pratiques disponibles pour les kinésithérapeutes de ce pays. Alors, je ne résiste pas au plaisir de vous laisser lire (une seule erreur, Monsieur Zana, qui ne retire rien aux remerciements que je vous dois : il ne s'agissait pas de "La méthode Feldenkrais comme si vous y étiez", mais de "La neuroplasticité comme si vous y étiez", mais vous êtes tout excusé).

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